Junior Beef

Fils d’un grossiste en viande de veau, Jos Theys est une figure marquante du monde belge de l’élevage. Il vit le jour au sortir de la guerre, en 1947. L’école présentait peu d’attraits pour lui, il décida donc de suivre les traces de son frère aîné et d’apprendre le métier de boucher. Il entra en apprentissage à quatorze ans et put consacrer deux jours par semaine à l’école et cinq au travail. C’est chez un authentique artisan qu’il eut la chance d’apprendre sa profession. Tous les produits étaient transformés et fabriqués sur place. Sa formation finie, dans l’attente du service militaire, Jos rejoignit son père au travail, à l’abattoir. C’était une toute autre époque. Tout gravitait autour du marché aux bestiaux et des abattoirs de Bruxelles. Les veaux engraissés se vendaient le jeudi.
On nettoyait le marché au jet d’eau après l’abattage puis on y vendait les carcasses. Les normes HACCP n’existaient encore qu’en rêve. On pouvait en toute simplicité y louer une table, deux chevalets et une planche et s’installer pour vendre, ce qu’environ 70 grossistes faisaient. Le père de Jos travaillait seul et transformait environ vingt veaux chaque semaine. Les bêtes étaient nourries au lait et aux œufs pendant 10 semaines et atteignaient un poids variant entre 85 et 90 kilos sur carcasse. C’était à l’époque la limite tolérable car personne n’aurait accepté un veau de 100 kg. Après l’armée, où il servit en tant que cuisinier, notre homme décida de se lancer à son compte. C’était alors une époque de transition, il achetait des veaux de lait à peine abattus sur le marché et par ailleurs se procurait une douzaine de veaux nouveau-nés qu’il engraissait lui-même. Ces veaux étaient de race mixte et de bonne qualité, leur prix était donc assez consé- quent. Si un veau d’Holstein se vendait à l’époque entre 500 et 1.500 francs belges, Jos achetait les siens de 2.500 et 3.000 francs belges. Il les vendait après les avoir engraissés durant 14 semaines. Ses veaux atteignaient un poids oscillant entre 120 et 125 kg sur carcasse. Comment arrivait-il à contourner les standards du moment et à vendre des veaux dépassant les 100 kg? Eh bien parce qu’il fut le tout premier sur le marché d’Anderlecht à avoir l’idée de détailler les carcasses en parties techniques. Les bouchers n’étaient dès lors plus contraints d’acheter des demis ou des quarts de carcasse et du coup Jos devint le grossiste le plus intéressant du marché de Bruxelles. Très vite, il dût augmenter son cheptel pour faire face à la demande. Pour mesurer la qualité de ses produits, il avait une technique très simple, qu’il tenait de son père, il prélevait sur chaque carcasse un morceau de viande qu’il grillait chez lui et après dégustation, il classifiait la viande, empirique mais efficace.

Junior Beef

Ces années-là furent difficiles pour le secteur de la viande. Aucun restaurant belge ne vendait plus de viande de bœuf belge. Les gens étaient las de tous les trafics, de l’usage intensif de clenbuterol qui privait la viande de toute tendreté, jusqu’aux filets. Les restaurateurs s’intéressaient aux viandes étrangères, aux sud-américaines par exemple qui semblaient ne pas souffrir de ces problèmes. Jos chercha ses propres réponses et démarra un nouveau projet, une nouvelle viande: le Junior Beef. Il nous raconte: “Ne comparez pas ce produit à une viande de veau de couleur rosée car il est différent. L’optique générale de l’époque était de s’atteler à faire baisser les coûts et les prix, de quelque manière que ce soit. Personnellement mes interrogations étaient radicalement différentes, je me demandais plutôt quel type de viande j’avais envie de fournir. Je me suis donc intéressé aux attentes des restaurateurs et j’ai cherché à m’approcher du degré de gras idéal dans la viande.

C’est pour ces raisons que je me suis mis à élever uniquement des génisses et que j’ai changé ma vision du fourrage pour développer mon Junior Beef.” Cette viande était par conséquent vendue plus cher, car considérée comme une viande de luxe destinée aux restaurateurs.

En 1991, Jos revend son entreprise mais il la rachète deux années plus tard par un management buy-out. Son cheptel était estimé à 36.000 veaux, les affaires tournaient au mieux et entre temps la situation du secteur s’améliorait également, l’ombre des scandales s’effaçait peu à peu et tout semblait aller pour le mieux. Puis, coup de tonnerre dans le ciel, le scandale de la dioxine précipite la Belgique dans un long marasme. Cette affaire concernait exclusivement les poulets et les porcs mais a généré une énorme vague de méfiance chez les consommateurs. C’était l’intégralité du secteur de la viande qui était boudé et, pour couronner le tout, les exportations furent interdites. Cette crise porta un coup fatal aux affaires de Jos qui s’éloigna de l’entreprise qu’il avait créée et développée.

 

Ferme

Serait-ce là la fin de l’histoire? Non, loin de là, car notre homme est plein de ressources. Le Junior Beef est encore produit de nos jours, mais il l’est à petite échelle. En 1994, Jos s’est demandé comment il pourrait réagir face au discrédit jeté sur le monde du veau et il a inventé la solution: la Ferme Jos Theys. Ce projet unique en son genre associe harmonieusement des étables et un restaurant. Pendant leur repas, les convives peuvent observer les veaux dans leur environnement habituel. Les enfants peuvent aller les caresser et pour ceux qui sont intéressés, toute l’information souhaitée est disponible quant aux méthodes d’élevage. Il va de soi qu’au restaurant on ne sert pratiquement que du Junior Beef, décliné en dizaines de préparations savoureuses, toutes faites maison. Un magasin juste à côté propose la même viande aux visiteurs et de nombreux restaurateurs de la région viennent s’y fournir directement. C’est incroyable mais vrai, les 560 veaux en sa possession, d’un poids de 220 à 240 kilos sur carcasse sont tous destinés à son restaurant, incontestablement un record en la matière.
www.jostheys.be

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