Square value

Où que l’on soit dans le monde, les bouchers reçoivent la viande en quartiers ou en morceaux techniques. Ce sont eux qui s’occupent ensuite des découpes et transforma- tions et ces découpes diffèrent selon les régions et les pays. Tendreté, tissus conjonctifs, présence de gras, l’exploitation culinaire est un facteur déterminant du travail du boucher. Son objectif est de valoriser la viande au maximum car chaque gramme non utilisé ou invendu constitue une perte sèche. Comment fonctionnent les spécialistes de la viande? Et bien ils recherchent la démultiplication de l’exploitation de la viande, ils mettent la valorisation au carré. Pour ce faire, ils vont traquer la moindre parcelle de viande susceptible d’avoir de la valeur et même créer cette valeur là où le commun des mortels n’en trouve plus. À chaque partie de la bête, à chaque morceau de viande correspond un prix. Nous évoquions précédemment les morceaux de première ou de seconde catégorie, à ce stade déjà le prix diffère considérablement. Le caractère luxueux de la première catégorie résulte de la conjonction de trois critères, une disponibilité relativement restreinte, une préparation qui exige peu de travail et l’assurance de la tendreté. Ainsi sur une carcasse on ne trouve que deux filets de disponibles, d’un poids peu conséquent. Il y a donc un certain phénomène de rareté quant à ce morceau en particulier. Nous savons que la loi du marché est telle que si la demande est forte ou si l’offre est faible, le prix augmente et qu’à fortiori la conjonction des deux situations multiplie encore le phénomène. Le Penny rouge, premier timbre de l’île Maurice, n’a une valeur inestimable que parce qu’il n’en existe plus qu’un seul, pas parce que c’était le premier. S’il en existait des millions d’exemplaires, plus personne ne s’y intéresserait.
À cet égard, l’effet de mode est un élément susceptible d’avoir une influence majeure sur le marché. Si la mode est aux chaussures en cuir de veau et que la demande explose, il va de soi que le prix de ce cuir va augmenter. C’est une réalité qui existe aussi dans le monde de la viande. Un produit comme la joue de veau ne jouissait que d’une considé- ration limitée de la part du grand public, jusqu’au jours où des chefs célèbres l’ont réhabilitée et lui ont rendu ses lettres de noblesse. Le paleron, depuis l’avènement des cuissons à basse température, est devenu une pièce particulièrement appréciée des gastronomes. Ces produits, autrefois très bons marchés ont vu la demande, et donc leurs prix, grimper en flèche.

La facilité de la préparation est très importante pour la clientèle. Plus le risque de rater la recette est faible, plus le consommateur est prêt à payer le prix fort. Le filet de veau est un bel exemple de cette réalité. La viande est extrêmement tendre et reste délicieuse, même en cas d’accident de cuisson. De plus, elle ne contient pas un seul gramme de graisse, une viande sans risque et lisible. Revenons à la découpe et à ce fameux carré de la valorisation. Le moindre gramme d’une carcasse doit être optimisé et au besoin, il faut lui créer de la valeur, mais comment faire? Cette question, c’est à Ernest Lebouille que nous la posons, boucher réputé de son état et au service des plus grandes tables belges et néerlandaises. Selon lui, un boucher doit être inventif et faire preuve de créativité. Il confirme ses dires par une démonstration et s’attaque à la découpe d’un train de huit côtes, incluant encore les filets, sur la carcasse. Selon lui, la première chose que l’on pourrait prélever dans ce morceau technique, ce sont des T-bones ou alors des côtes à l’os, avec ou sans dessus de côte. Il signifie par là que ce dernier, prélevé du train, est idéal pour réaliser des roulades. Notre homme, précis comme un chirurgien, détaille la viande consciencieusement et humblement. Il ne la manipule pas, il la caresse.


Mais ce qu’il prélève en premier, c’est le filet de veau entier. Il est soigneusement épluché avant que notre boucher n’en prélève la tête qu’il coupe en mignons de veau. De la pointe du filet de veau, il détaille 5 tournedos de 140 g et 6 mignons de veau de 60 g. Après la découpe, il reste quelques chutes assez belles que pour les habiller en brochettes. Les dernières chutes et parures restantes sont précautionneusement gardées car on peut les transformer de nombreuses façons. Restent les chutes de gras. Ernest ne les oublie pas et va leur trouver une finalité qui nous plaît beaucoup. Il passe le gras au moulin à viande sur grille 5 et poêle le résultat pour obtenir d’excellents gratons. L’excé- dent de gras fondu est ensuite récupéré et mis à figer. Le résultat est une délicatesse qui trouve sa place à table: en lieu et place du beurre, on propose le gras figé et les gratons en dégustation. Pas un gramme n’est perdu.


Nous voilà revenus au train de côtes, libéré de son filet. Les tissus conjonctifs qui recouvrent le train sont ensuite retirés avant de prélever le dessus de côte pour en faire des roulades. Ernest découpe alors un train de quatre côtes qu’il désosse et dont il dégage 1.200 g d’entrecôte. Les os des côtes restants, trop souvent jetés ou utilisés pour des fonds, sont parés en superbes spare ribs qui aussi généreront du bénéfice. Il reste donc un autre train de quatre côtes, celui qui offre le plus de possibilités selon notre boucher. Il le désosse de façon à découvrir 9 vertèbres et quatre côtes. Les os des ver- tèbres peuvent être utilisés pour un fond tandis que les os de côte rejoignent les spare ribs. Il prélève ensuite l’aloyau du train désossé, une pièce de boucherie un peu plus ferme et qui demande un temps de cuisson plus long. Il poursuit avec la chaînette qui est transformée en haché pour les boulettes que l’on servira dans une fricassée de veau. La longe restante est ensuite proprement épluchée et peut servir dans de nombreuses préparations telles que du carpaccio ou des médaillons. Ernest n’a pas perdu un seul gramme de viande et chaque pièce a été traitée de la manière la plus valorisante qui soit. En conclusion, un bon boucher reste un chasseur de trésors, capable de multiplier la valeur de ce qu’il travaille.

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